Chronique : mon voyage à Yaoundé avant la manifestation du 22 septembre

Article : Chronique : mon voyage à Yaoundé avant la manifestation du 22 septembre
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30/09/2020

Chronique : mon voyage à Yaoundé avant la manifestation du 22 septembre

Deux jours avant la manifestation du 22 septembre initiée par le MRC et les partis d’opposition au Cameroun, je me suis rendu à Yaoundé pour rejoindre le Kenya en avion. J’ai réalisé que je viens de ce pays où on n’a pas le droit de pleurer. Étouffer les sons d’un peuple, c’est encourager sa révolte.

Parole d’un exilé

Je me suis rendu à Yaoundé le 20 septembre 2020, via un bus de l’agence de voyage Général Express voyage. Cette agence de transport dessert principalement la région de l’Ouest, la ville de Douala et Yaoundé, la capitale camerounaise. En route, nous avons subi des contrôles de police sauvages, inhabituels et étranges.

La route nationale relie la ville de Bafoussam à l’ouest à la ville de Yaoundé, comprend cinq postes de contrôle routier. Au cours de notre voyage, nous avons été stoppés cinq fois par la gendarmerie et la police. À chaque poste de contrôle, les gendarmes et policiers faisaient sortir tous les passagers du bus. Tous avaient une carte d’identité et ceux qui refusaient d’obtempérer, exaspérés par ces contrôles jugés pour eux de trop, étaient assimilés aux rebelles et aux terroristes. La sanction était une détention provisoire, afin d’immobiliser le bus et retarder le voyage.

À chaque poste de contrôle, les gendarmes et policiers nous affirmaient que « nous venons de l’Ouest du Cameroun, la région d’origine de Maurice Kamto« , président du MRC, l’adversaire politique redoutable du régime en place. Les gendarmes et policiers considèrent les passagers en provenance de l’Ouest du Cameroun et à destination de Yaoundé comme des sympathisants du MRC et des ambazoniens, recrutés pour alimenter les manifestations pacifiques que certains officiels du gouvernement ont qualifié de « marche insurrectionnelle ».

J'ai rejoins Yaoundé deux jours avant la manifestation du 22 septembre.
Un billet de voyage de l’agence de transport en commun Général Express Voyage. Crédit photo : Kenfack Dirane

Le Cameroun, un État policier

À chaque contrôle de police et de gendarmerie, ils trouvaient toujours un motif pour retarder le bus. Arrivé dans la ville de Yaoundé, j’étais stupéfait :  les sièges des agences de voyages en provenance de l’Ouest étaient militarisés. On examinait les passagers provenant de l’Ouest, ce qui montre une tribalisation de la politique au Cameroun.

Les principaux ronds-points et carrefours de la ville de Yaoundé étaient militarisés : véhicules blindés, camions anti-émeutes de la police et de la gendarmerie, policiers avec matraques, casques, boucliers, un ensemble d’arsenaux pour intimider les manifestants et faire régner la terreur. Les principaux ronds-points militarisés que j’ai pu voir à Yaoundé étaient le rond-point Nlonkgkak, Carrefour MECC, Tsinga, la poste centrale, etc.

« Mais jusqu’à quand va-t-on faire usage de la violence dans la gestion des crises au Cameroun ? Pourquoi vouloir réprimer à tout prix une manifestation pacifique au lieu de l’encadrer ? »

Mais jusqu’à quand va-t-on faire usage de la violence dans la gestion des crises au Cameroun ? Pourquoi vouloir réprimer à tout prix une manifestation pacifique au lieu de l’encadrer ? Pourquoi considérer les citoyens camerounais venus de l’Ouest comme des bandits et des maquisards ? La réponse est simple : l’histoire des dictatures nous montre que l’armée est le socle de ce type de régime, au détriment du peuple qui est le rempart à la démocratie. La répression, l’intimidation et le tribalisme font partie des moyens, méthodes, outils et instruments de maintien au pouvoir et sont de facto l’héritage colonial.  

Des policiers dans la ville de Yaoundé prêts à réprimer les manifestants, avant la manifestation du 22 septembre.
Des policiers dans la ville de Yaoundé prêts à réprimer les manifestants. Crédit photo : Actu Cameroun

L’exception camerounaise dans le monde

Au Cameroun, dans le langage courant, il est dit que « si on t’explique le Cameroun et que tu comprends, c’est qu’on ne t’a pas bien expliqué ». Alors que les principales villes du Cameroun sont fortement militarisées avec les meilleurs équipements militaires et des dispositifs de maintien de l’ordre impressionnants contre les civils désarmés, sans défense qui ne réclament que leurs droits, l’État est incapable d’assurer l’intégrité territoriale à l’extrême-Nord et de rétablir la paix dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Des militaires et civils meurent tous les jours dans les incursions de Boko Haram.

« Au lieu de déployer tout ce dispositif contre les vrais ennemis de la patrie comme Boko Haram, il est déployé contre les civils désarmés. »

Des postes de l’armée ont été démantelés dans la région de l’extrême-Nord, entraînant ainsi un exode massif des civils dans les villages abandonnés à eux-mêmes, fuyant les affres de Boko Haram, dans une situation humanitaire désastreuse. Au lieu de déployer tout ce dispositif contre les vrais ennemis de la patrie comme Boko Haram, il est déployé contre les civils désarmés. C’est une situation monstrueuse. On est donc capable d’assiéger le domicile d’un opposant qui a enlevé le sommeil aux politicards responsables de la situation chaotique du Cameroun pendant 3 décennies, plutôt que de combattre les barbares islamistes qui égorgent, violent, pillent et déstabilisent l’extrême-Nord du Cameroun.

La répression n’est pas la solution

L’histoire nous montre que lorsque les avocats et enseignants ont manifesté pacifiquement pour réclamer leurs droits et de meilleures conditions de travail en 2016 au Nord-Ouest du Cameroun, ils ont été maltraités, torturés, emprisonnés et assimilés aux terroristes. Cela a entraîné une radicalisation.

L’UPC (Union des populations du Cameroun) a été interdite par l’occupant colonial français au Cameroun en 1955. Elle s’est alors radicalisée et a pris les armes. Lorsque l’ANC a été interdite en Afrique du Sud, elle est devenue une rébellion et a fini par renverser le régime d’apartheid. Le Cameroun est donc un État fort et mou : fort, parce que reposant sur la violence et l’arbitraire, mou, parce qu’incapable de se fixer les objectifs qu’il se donne en politique.

La répression n’est pas la seule solution aux cris d’un peuple. Le dialogue et le compromis sont les meilleures solutions dans un Cameroun qui se meurt tous les jours. Les langues se délient et le mécontentement est devenu irréversible.

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Commentaires

Kamdem kouam Guy Pascal
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Texte très pointu avec une argumentation plus ou moins objective, une illustration par des faits historiques assez évocateurs. Mais ce que je peux suggérer est de partir d'une démarche diachronique pour montrer comment depuis la veille de l'annonce des manifestations pacifiques jusqu'à nos jours des interpellations et arrestations arbitraires continuent, ceci mettant à nu la nature répressive, violente et même antidémocratique du régime de Ydé

Dirane Merlin Kenfack
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Merci le grand Pascal

Jacques djilo Simo
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Témoignage froid du spectre de la répression policière au Cameroun. Dans ce récital descriptif de la pré et la post manif en passant par la manif elle même, il est évident que la case des droits de l'homme au Cameroun demeure presque un idéal.

Dirane Merlin Kenfack
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l'État du Cameroun est né dans la violence.